lundi 9 février 2009

DES PIERRES :DANS UN JARDIN

Dans quelques jours s'ouvrira au Grand Palais la 24e Biennale des antiquaires. Incontournable pour les amateurs d'art, ce rendez-vous est de venu stratégique pour les grandes marques de joaillerie. Devant la plus belle clientèle mondiale de collectionneurs, elles présentent en exclusivité leurs nouvelles collections. Le thème 2008 les jardins. Une splendeur.

Du 11 au 21 septembre, 100 000 visiteurs sont attendus au Grand Palais. Parmi eux, quelques-uns des plus grands collectionneurs d'art, venus de Rio, New York,Londres ou Hongkong. La veille, ces milliardaires très courtisés auront assisté au fabuleux gala d'ouverture sous la grande verrière, donné au profit de la Fondation Hôpitaux de Paris Hôpitaux de France. Mille quatre cents personnes en smoking etrobes longues, dégustant un menu signé Michel Guérard, dont la préparation et le service auront nécessité un aréopage de 1 000 employés, orchestrés par Potel et Chabot. Pour sa deuxième édition depuis son retour au Grand Palais, la biennale savoure ce renouveau dans un parfum de magnificence. Eclat renforcé, d'autant que les joailliers sont de plus en plus nombreux à révéler, en exclusivité, leurs nouvelles collections lors de cette rentrée artistique. « La joaillerie a eu sa place à la biennale dès l'origine dans les années 60, car elle s'adresse à la même clientèle que les antiquaires, souligne Christian Deydier, le président de la manifestation. Elle fait partie d'un art de vivre à la française, au même titre que les tableaux et les objets d'art. Cette année promet une montée en puissance, car certains ateliers ont préparé, parfois deux ans à l'avance, des collections spéciales. Comme les antiquaires, ils gardent leurs plus belles pièces pour les dévoiler à ce moment-là! »

Un péridot de 47 carats

Depuis deux ans, Van Cleef & Arpels peaufine en effet un ensemble exceptionnel de joyaux sur le thème des jardins du monde entier. Quatre édens, s'inspirant de la Renaissance italienne, des jardins à la française, du romantisme anglais ou de l'Extrême-Orient. Dans chacun, des pièces remarquables, par leur conception ou, évidemment, la qualité et le calibre des pierres exposées. On verra un péridot taille coussin, de 47 carats, s'épanouir sur une bague et un collier Le Nôtre où les pelouses sont des émeraudes et les bosquets des diamants. « La biennale est un écrin extraordinaire, commente Stanislas de Quercize, le président de Van Cleef. La joaillerie y est reconnue comme un art à part entière. Cette collection a nécessité de pousser le savoir-faire de nos ateliers au plus fort. » Comme elles le font des quatre côtés de la place Vendôme, les maisons vont ici se mesurer les unes aux autres dans un mélange d'admiration, de goût du mystère et d'élégance. Dior, dont c'est la première participation à la biennale, est encore une griffe jeune en joaillerie. Fraîche, talentueuse et très turbulente! Victoire de Castellane, sa pétillante directrice artistique, en est consciente et a imaginé une collection littéralement époustouflante ... présentée dans un décor de nursery. «Milly Carnîvora », c'est son nom, rend à la fois hommage au jardin de Christian Dior à Milly-la-Forêt, envoûté par le parfum étrange des fleurs carnivores. « Devorus »;« Poisonus » ou « Egratigna », les fleurs-bijoux du jardin de Victoire ont des noms latins inventés mais une beauté du diable bien réelle.

Excentriques, provocantes, elles dégoulinent de pierres de couleurs, tsavorites, grenats mandarine, saphirs roses, comme des gouttes de poison. Les pétales gourmands de ces fleurs vénéneuses s'ouvrent et avalent de naïves coccinelles ou des papillons de contes de fées. « L'or n'a que trois couleurs, c'est trop embêtant », dit Victoire. Alors les montures d'or sont laquées, comme des ongles manucurés. Les nuances sont vives, parfois métalliques,jusqu'à fluorescentes : vert chlorophylle ou rose Malabar échappé d'un dessin animé japonais. Pour se mesurer à ses aînés - et les manger tout crus? -, la griffe souligne son savoir-faire. « La joaillerie Dior se distingue avant tout par son côté créatif, féminin, ludique et extravagant, dit Victoire. Ma priorité: un côté artisanal cent pour cent fait main dans des ateliers parisiens. Une forte exigence de qualité, d'autant plus importante que nous sommesune marque de joaillerie récente. »

De 9 000 à 700 000 euros, les prix sont plutôt modestes dans le domaine ...

Un démantoïde vert rarissime

Un, deux, trois millions d'euros, le nombre sans cesse croissant des milliardaires permet toutes les folies. Lors de l'exposition sera mise en vente une rareté, le collier de feu le maharaja de Patiala, créé en 1928 par Cartier, pour ce prince du grand Etat du Pendjab. La griffe l'avait racheté il y a quelque temps, et patiemment

restauré, retrouvant un à un les diamants de taille ancienne semblables à ceux qu'il avait perdus. Il s'agit d'un collier de chien totalisant 160 carats de diamants.

Il voisinera avec une cinquantaine de nouvelles pièces, sur le thème des chimères ou du fabuleux saphir padpa-radscha rose orangé, provenant des mines de Ceylan. Exception encore pour Harry Winston qui, dans sa série « The IncrediS bles », montre un grenat démantoïde vert rarissime de plus de 6 carats. Chez Chanel, on découvrira,jarclins obligent, une broche Camélia Paraïba dont le cœur est une tourmaline de 37,5 carats, d'un bleu-vert de la plus belle eau des mers du Sud ... avec 1 098 diamants supplémentaires qui participent au feu d'artifice. Côté savoir-faire, un sautoir Camélia poudré, orné de 96 carats de diamants, souple comme un collier de perles. .. Et des prix qui grimpent jusqu'à 1,6 million d'euros. « La clientèle est ici très prestigieuse, et de plus en plus diversifiée, note Benjamin Comar, directeur international de la joaillerie Chanel. Europe, Amérique, bien sûr, mais aussi de plus en plus d'Asiatiques, notamment de Hongkong. »Après l'or des médailles, la Chine rêve aussi d'accrocher à son cou de l'or estampillé place Vendôme.


Bracelet Twig,

26 rubis taille poire (32,52 carats)

et 182 diamants poire et baguette (22,78 carats), Harry Winston.


Broche Camélia Paraïba ornée

de 1 098 diamants et d'une tourmaline de 37,5 carats, laque bleue des mers du Sud assortie (Chanel).


Bracelet de la collection Chimères de Cartier, fermoir et sertissage dragon de diamants, boules , émeraude, et une opale d'Australie de 88,58 carats.





UN TISSU : DES PROPORTIONS UN GALON


Nom de code: 33858. Chez Chanel, il correspond à une petite veste noire, issue de la pré collection automne-hiver 2008. Précollection, car elle fait partie de ces premiers vêtements de saison mis en vente avant la fin de l'été. Une période où l'on pense doucement à la rentrée, avec des envies de tenues basiques à porter sans réfléchir tout au long de l'année. La petite veste noire parfaite, par exemple. Celle qui nous accompagnera du soir au matin, sur un jean comme avec des escarpins.

C'est en pensant à ce vêtement fétiche que Karl Lagerfeld a décidé de distinguer, chaque saison, « la » veste Chanel du moment. Jamais vraiment la même dans ses proportions, son tissu, son galon ... Celle de l'hiver 2008 est noire, plutôt classique avec quatre poches boutonnées.

L'idée est aussi d'exploiter le formidable potentiel de cette icône de la griffe, une légende, presque un monument national! Car cette veste, c'est évidemment celle du tailleur Chanel, inventé par Mademoiselle en 1954, alors qu'elle faisait un retour fracassant dans la mode. Depuis 1983, Karl Lagerfeld s'amuse à la bousculer - et parfois même à la dynamiter-pour mieux le faire exister. La preuve, en 1985, il l'associe pour la première fois à un jean, combinaison devenue un classique.

En 1992, la veste est en éponge, en 1994 en fausse fourrure, puis en Néoprène pour devenir veste de plongée. Elle se porte avec un short, une robe, un pantalon ... une petite culotte. Le créateur a une tendresse particulière pour ce vêtement dans lequel il reconnaît une veste autrichienne. « Il y a des choses qui ne passent jamais de mode, le jean, une chemise blanche, une veste Chanel », dit-il. Digne héritière de la griffe, elle porte toujours en elle l'ADN de la maison, jusque dans ses moindres détails.

Plonger dans ses secrets de fabrication, c'est découvrir que la légende ne doit rien au hasard. Il est ici question d'histoire, de savoir-faire, de mode de vie. « Un tailleur Chanel est construit pour une femme qui bouge », disait Coco. Celle qui s'est fait connaître avant-guerre avec ses tenues de jersey, souples et confortables, ne déroge pas à son principe des années plus tard. Dans les années 50, les femmes se sentent belles dans les sublimes tailleurs sculpturaux - et très rigides – de Christian Dior. Les guêpières américaines leur taillent les seins en obus. Chanel donne un coup de pied dans la fourmilière en faisant défiler rue Cambon ses tailleurs en tweed souple et mou, avec jupe fendue pour donner plus d'aisance. Pratique, décontracté, confortable. Les Américaines, déjà sportswear, adorent. Les Françaises détestent. Avant d'y n succomber, dès la deuxième saison! Romy Schneider contribue à tisser la légende en endossant le tailleur dans le film «Boccace 70 », Chanel ne pense pas seulement aux vêtements, mais aux bouleversements sociaux de l'époque. Elle invente une tenue pour la vie active, pratique comme un vestiaire masculin, la désinvolture et l'élégance féminine en plus, le confort en prime.

CONCUE COMME UNE SECONDE PEAU

La veste du tailleur est conçue comme une seconde peau.

Elle bouge avec celle qui l'habite, Elle est droite, structurée, fermée bord à bord. Pas d'entoilage, pas d'épaulettes: de la souplesse! On rappelle que Mademoiselle prenait les mesures de ses clientes en leur faisant croiser les bras sur les épaules. La tenue réside dans la coupe. Jean-Philippe, premier d'atelier rue Cambon, explique:

« L'étoffe est coupée dans le droit-fil. Les pièces, seize au minimum, sont assemblées les unes aux autres par des coutures verticales au plus près du corps. » Les coutures droites comme des « i », ajustées au millimètre près. Pas de pince poitrine, les volumes sont absorbés par la coupe savante des lais de tissus verticaux. La ligne générale est tendue et rectiligne. L'épaule toujours droite. Le tweed souple est intimement lié en de multiples points avec sa doublure de soie pour ne faire plus qu'un.

Le temps n'aura pas de prise sur ce couple. Au bas de la veste, une chaîne leste l'ourlet pour un tombé parfait. L'encolure maison est ronde. Les manches sont fendues pour pouvoir les retrousser. En 2008, elles sont très étroites, ainsi l'a voulu Karl. L'atelier a reçu un matin le dessin de la 33858.11 a fallu dix jours de travail et quelques allers-retours avec le studio de création pour interpréter avec justesse les traits de crayon du maître. Premier d'atelier, directrice du studio, patronnier, coupeur, toiliste, couturières, modéliste ont donné vie au croquis en choisissant le tissu adapté - un tweed de laine, noir-les boutons, le galon, ici en mohair brodé de perles noires. Le modèle existe en noir, marine et bordeaux.

Le prix du rêve: 2 930 euros.

 La veste est matérialisée en toile de coton à partir du dessin de Karl Lagerfeld. Une fois le modèle arrêté, les pièces de tissu sont coupées et assemblées. Le bas de la doublure reçoit une chaîne, jolie astuce pour lester l'ourlet et obtenir un tombé parfait.

Le couturier et son bras droit Virginie Viard, approuvent.